samedi 16 janvier 2010

Le Nain Blanc et les Sept Neiges (le début du conte, en exclusivité!)

(ce conte est tiré d'une série de contes, Les Contes Attitrés, tirant leur inspiration d'un jeu de contrepet sur les titres de contes traditionnels. La trame, elle, n'est pas nécessairement en rapport avec le conte initial)

Ce genre d’aventure n’arrive qu’une fois.

Il était une fois, donc, un tout petit homme tout blanc qui s’appelait Aubel-Noirçon Le Lusseron. Pour simplifier, les gens - qui n’aiment pas ce qui est trop compliqué…- l’appelaient simplement le Nain Blanc, voire ne l’appelaient pas. Vous savez ce qu’est un nain : c’est une personne qui, même adulte, reste tout le temps dans un petit corps d’enfant. Ce qui, dans notre histoire, tombait bien, car notre héros, qui était une grande personne de 33 ans, avait non seulement un petit corps d’enfant musclé, mais avait également gardé une tendre âme enfantine! Il adorait jouer, et par dessus-tout, il adorait faire des roulades sur la terre et découvrir ce que le sol avait de merveilleux.

Pour nous autres, les « grandes personnes », nous nous souvenons que, quand nous étions enfants, nous regardions le ciel pour y développer notre imagination, en cherchant des nuages en forme de lapin, et en trouvant des gâteaux à la crème chantilly dans les cumuli… Pour notre Nain Blanc, nul besoin de se tourner vers le ciel pour se raconter de belles histoires, la terre lui suffisait amplement, et sans risquer le torticolis ! Il s’amusait à découvrir de fantastiques animaux dans les formes vertes de la mousse sur les troncs d’arbres, il flirtait avec les mille soleils d’un champ de tournesols, il défiait à la course le vent qui courait dans les hautes herbes, et il dansait avec les feuilles qui, lasses d’avoir été fouettées par le ciel, se laissaient doucement retomber sur le sol en prenant de plus chaleureuses couleurs. Pourquoi chercher en haut ce qui existe au centuple en bas ?

Rien ne manquait donc au bonheur de notre héros, rien de trop élevé ne l’empêchait de s’épanouir à tous niveaux, rien de céleste n’aurait détourné son regard de ses pas, de son chemin, de son univers, rien. Rien, sauf le soleil.

Enfant de la lune, le Nain Blanc ne comptait qu’un ennemi involontaire : le soleil. Ce soleil qui, sur sa peau si blanche, trop blanche, laissait des brûlures tellement douloureuses qu’il était obligé de fuir les flammes du printemps et les feux de l’été.  De la nuit, il s’était fait une amie, et le jour était comme l’amour, tantôt brûlant, passionnel et destructeur, tantôt plus nuageux mais plus frais, plus vrai. Notre petit bonhomme sortait donc la nuit, ou attendait le passage d’une couverture de nuages pour redécouvrir ses journées terrestres. Il le savait : s’exposer directement et trop longtemps au soleil aurait pu le tuer, et il avait tant et si bien appris à l’éviter qu’il ne le connaissait presque plus. Alors, comme pour toutes les choses que l’on ne connaît pas et que l’on craint, il lui avait consacré toute sa foi et toute sa dévotion. Le soleil était le seul ciel qui détournait notre ami de sa chère terre d’en bas. Il aurait aimé le connaître, ce soleil, s’en faire un complice, ne plus le fuir. Mais il le fuyait, et pour cause. Et plus il le fuyait, plus il l’adorait. Il n’espérait plus qu’un signe de cette divinité, un miracle peut-être, une apparition qui ne soit pas douloureuse…

Cette quête d’un soleil qu’il devait éviter de trouver, cet idéal absolu qu’il devait aimer et haïr à la fois, ne l’empêchait pas - bien heureusement! - de profiter encore et toujours de son monde bien au sol, et de son imagination joyeuse.

« Oho!, disait-il à l’escargot, préviens-moi dès qu’il fait beau, que je puisse aussi me protéger sous ta coquille! Me laisseras-tu un peu de place, dans ton humble palace? Je me ferai tout petit, minuscule, promis! Et on écoutera l’averse des rayons de soleil pleuvoir sur ton toît! Mais ne bave pas, hein, ça ne serait pas vraiment sympa… »

Et il se mettait à rire, puis à courir, laissant sur place le gastéropode muet d’étonnement et lent de bonhomie.

« Oho!, disait-il à l’arbuste, te voilà bien petit, tu es de mes amis, je le vois bien! Fragiles et conquérants, nous sommes de la même sève, et de la même terre. Souviens-t-en une fois devenu grand, je passerai te faire un petit coucou, et tu déploieras tes branches-parasol pour m’embrasser de toute ton ombre! Ce sera bien, vraiment bien! Je te chatouillerai les racines, tu chatouilleras le soleil, et nous rirons ensemble. Puis je te soulagerai de tes fruits gorgés de chaleur et de lumière! Des bons fruits, ça n’est pas défendu…! »

Puis il sautillait autour de l’arbuste en criant « Attrappe-moi! Attrappe-moi! » tandis que les jeunes branchages le caressaient, le griffaient, essayaient de le retenir, et de le calmer. Un arbre, c’est très calme, et très patient.

« Oho!, disait-il au papillon, tu as bien de la chance : tu es tout blanc et tu es l’ami du beau temps… Tu as bien de la chance. Raconte-moi comment est le soleil… »

Et le papillon se mettait à voler sereinement en décrivant de grands et larges cercles au dessus des champs de fleurs…

Et le Nain Blanc ne se lassait jamais de s’amuser si près du sol, et il courait dans les maïs, et il sifflait dans les hautes herbes, et il roulait dans la boue, et il glissait sur les rochers. Il ne se sentait jamais seul parmi cette nature qu’il observait et respectait de si près… Mais quand le soleil réapparaissait trop fort, alors il se précipitait chez lui, et là, dans le noir complet, entre quatre murs, il versait quelques larmes qui ne reflétaient aucune lueur, et il parlait à haute voix, pour lui-même, seul, et il disait : « Je suis tellement heureux!… mais tellement malheureux… Si je pouvais une fois, juste une fois, rencontrer le soleil, l’embrasser et lui dire bonjour, sans que ça me brûle, rien qu’une fois, alors là, peut-être que ce serait le paradis… ». Puis il s’endormait vers des rêves illuminés.

Dans le village, les braves et bonnes gens aimaient à cancaner, et le Nain Blanc leur fournissait d’innombrables sujets de commérages, ce qui est bien normal : les braves et bonnes gens sortent le jour et dorment la nuit ; les braves et bonnes gens ne s’amusent plus comme des galapiats quand ils sont adultes ; les braves et bonnes gens parlent à leurs voisins plutôt qu’aux animaux ; enfin, les braves et bonnes gens aiment plus à se réunir dans une église qu’à errer dans les forêts! Les braves et bonnes gens sont simplement des gens normaux, bien ordinaires… tout le contraire de notre extraordinaire petit héros, en fait! Et c’est pourquoi, dans notre village, tout le monde regardait le Nain Blanc de travers, ou avec un air supérieur que leur conférait leur taille à défaut de leur esprit.

« Regardez comme il est blanc! Ca n’est pas la couleur qui sied à une personne sociable et de bonne nature!, hoquetait le tavernier, rouge de sa sociabilité absorbée. Il a le teint sec et maladif de ceux qui ne savent pas partager un verre, quel qu’il fut! Par Dionysos, c’est une honte! ». Et, ce-disant, il partageait ses postillons vermillon à son entourage.

« Dieu nous protège de cet être de la nuit, de cette ombre blanche!, prêchait le vieux curé, à cheval sur les frontières de sa plénitude. Comment peut-on ne vivre que sous les nuages, ou sous la lune? Nuages et obscurité sont démoniaques, ils renient la lumière divine! ». Et, tout en prêchant, il balançait son encensoir qui crachait ses vapeurs noires dans la sombre église.

« N’est-il pas vrai qu’il est petit, le gredin?, surenchérissait le garde-champêtre. Etre si petit doit cacher quelque chose… Par Dieu, je suis sûr qu’il s’introduit sournoisement chez les braves gens la nuit par le soupirail de leur cave pour leur dérober quelque richesse! Si petit, mais pour quelle raison, si ce n’est celle de pouvoir s’immiscer dans votre vie privée, hein?! Je vous le demande!... ». Et, tout en faisant glisser sa voix serpentine, il faufilait son petit nez et ses petits yeux dans tout interstice de l’intimité de son auditoire.

« Jésus Marie Joseph!, répondait la laitière. Vous avez bien raison, mon bon! Ce petit bonhomme se sert dans ma réserve de lait, pour sûr ! Car vous le savez, vous tous, seul le lait peut donner à la peau ce pur teint blanc! Mon Dieu, ce démon me vole sa couleur d’ange! Et moi qui ne m’en rendais même pas compte!... ». Et, après avoir dit tout cela d’une traite, elle chiffonnait son tablier jaune de ses mains tannées de travailleuse.

Et tout le monde avait son mot à dire, tout le monde s’empressait, quotidiennement, annuellement, tout le temps, d’ajouter sa part au gâteau social qui était toujours destiné à la figure de notre héros, lequel ne s’en doutait guère et ne s’en souciait pas. Et ils parlaient encore, et encore, ils riaient de ce personnage si petit et si étrange, ils le maudissaient, ils lui prêtaient des pouvoirs occultes et de sinistres intentions. Ils l’excluaient tellement, qu’à le voir si seul et si isolé, ils en oubliaient leur propre solitude… Seuls au milieu de tous. Et le Nain Blanc, seul avec lui-même, continuait à vivre son existence, loin des tracas des braves et bonnes gens du village.

3 commentaires:

Lumo a dit…

Huuuu vraiment ça donne envie d'en lire plus! Merci d'avoir pris contact avec moi, je viendrai de temps en temps lire un texte ou deux... Dommage qu'on ne puisse rien lire en entier... ^^

Essai a dit…

C'est clair... ;-)

Laurent Varlet a dit…

Dans l'attente d'une édition... je ne peux malheureusement me permettre de saborder un éventuel copyright à venir...!
Je le ferai peut-être à la demande, avec parcimonie, on verra.
Je suis néanmoins prêt à envoyer l'intégralité d'un texte à toute personne désireuse de travailler sur une illustration (sauf pour les textes déjà illustrés: les noms des artistes sont alors déjà précisés à côté des images mises en ligne)!!!...
Perche tendue, ou bouteille à la mer... ;-)