lundi 18 janvier 2010

La Si Petite Reine (début du conte, encore en exclusivité!)

(ce conte est tiré d'une série de contes, Les Contes Attitrés, tirant leur inspiration d'un jeu de contrepet ou d'antinomie sur les titres de contes traditionnels. La trame, elle, n'est pas nécessairement en rapport avec le conte initial)
Il était une fois une reine si petite qu’on ne lui voyait ni les pieds ni les jambes. On se baissait pour voir son visage, on se baissait encore plus pour voir ses bras son ventre sa poitrine, mais on n’arrivait jamais à se baisser assez pour voir ses jambes et ses pieds. C’était la Si Petite Reine.
Au royaume, on promit une grande récompense à celui qui tirerait la gentille reine de cet embarrassant handicap, car il faut l’avouer, une si petite Reine ne convient pas à un si grand royaume, et si on ne peut pas admirer les jambes d’une reine sous peine de se briser les reins, à quoi sert donc à ses sujets de lui faire la révérence, je vous le demande ? Faire des courbettes, d’accord, mais si c’est uniquement par servitude, sans la compensation de jolies gambettes, là je dis stop !
Mais revenons à notre belle petite Reine. Car, effectivement, la Si Petite Reine était très jolie, du moins ce qu’on en voyait, ce qui était bel et bien frustrant : elle avait un très beau visage avec des cheveux de jais qui encadraient de leur velour les deux magnifiques étoiles vertes qu’étaient ses yeux, au dessus de la vague vermeil de ses lèvres… ; elle avait de très beaux bras à la peau très douce et très blanche, de ce blanc qui renvoie toutes les couleurs, et on devinait de magnifiques trésors de volupté sous son corsage de reine… Quand au reste, on ne savait pas. Certains s’étaient bien essayé à voir ces jambes si mystérieuses et si basses; l’un s’était écrasé la tête sur le sol à force de se baisser, et ne se déplaçait depuis qu’en échasses avec un casque sur la tête ; un autre s’était tellement retourné dans sa tentative qu’il n’avait pas su se redresser et avait dû apprendre à marcher sur les mains ; et toujours, sans aucun résultat !

Notre héroïne était très intelligente, et d’une humeur souvent facétieuse. Elle adorait jouer à la tomate avec les autres jeunes gens du palais, et bien sûr, elle gagnait toujours, aucune balle n’aurait pu passer entre des jambes qu’on ne voit même pas !
-         - Allez, les amis, vous venez faire une tomate avec moi ? disait-elle souvent.
Et ses amis, qui savaient qu’ils allaient perdre, essayaient d’éviter la fatidique tomate, et la taquinaient :
-         - Que dis-tu ? Tu veux aller cueillir des tomates ? disait le jeune jardinier du palais. D’accord, mais alors, fais attention de ne pas piétiner mes plants avec tes pieds, hein !
Et la Petite Reine se mettait à rire, parce que, c’est vrai, comment aurait-elle pu écraser les salades avec des pieds que l’on ne voit même pas ?
-         - Que dis-tu ? disait un jeune marmiton du palais. Tu veux cuisiner des tomates ? Sauce tomate, salade de tomates, tomates farcies, tomato ketchup ? Moi, je conseille la soupe à la tomate, ça donne de belles couleurs, et ça fait grandir !
Et la Petite Reine riait de plus belle, car c’est vrai qu’elle paraissait bien petite, avec ces jambes que l’on ne voyait pas, et, c’est vrai, sa couleur de peau était bien blanche.
-         - Que dis-tu ? disait alors la jeune couturière du palais. Tu as le teint mat, et tu voudrais des vêtements couleur tomate ? Rien de plus facile, je vais te coudre un beau chemisier rouge tomate, une belle ceinture rouge tomate, une belle veste rouge tomate… Ca va aller vite ! Je n’aurai pas besoin de te coudre de pantalon !
Et la Petite Reine riait aux éclats à l’idée de devoir mettre un pantalon sur des jambes que l’on ne voit pas ! La Si Petite Reine avait beaucoup d’humour.
Finalement, après l’avoir taquinée, ils allaient tous ensemble dans le parc du palais pour jouer à la tomate, même s’ils savaient qu’ils allaient perdre. Mais bâh !, après tout, l’important c’était de jouer, non ? Pas de gagner.

A part la tomate, notre petite héroïne aimait beaucoup courir, et quand on la regardait, on avait l’impression qu’elle avançait sur un tapis roulant, car elle courait, oui, elle courait, mais on ne voyait pas ses jambes bouger, puisqu’on ne les voyait pas du tout ! Elle aimait aussi jouer à cache-cache et se faire toute petite derrière les buissons : il lui suffisait de baisser la tête, et elle disparaissait presque complètement à notre regard ! Par contre, elle n’aimait pas jouer au foot, même si elle était très douée pour faire des têtes, et elle n’aimait pas le judo, même si aucun de ses adversaires n’arrivait à lui faire de croche-pieds.
Une seule chose la dérangeait, finalement, c’était le mercredi matin quand les jeunes gens du palais allaient à la piscine. La Si Petite Reine ne savait pas nager. Une seule fois elle était allée dans l’eau du petit bassin, mais elle n’avait pas pied, et elle avait eu beau battre des jambes pour rester à la surface, elle se serait noyée si le maître-nageur ne l’avait pas attrapée par les bras ! Depuis, le Roi son père lui avait interdit de mettre les pieds à la piscine, ou d’aller à la mer. Et cela attristait notre belle Petite Reine qui aurait tant voulu pouvoir s’amuser comme les autres à sauter, plonger, nager, faire la bombe, s’éclabousser, se couler et faire l’étoile dans l’eau de la piscine ou des océans…

Un jour, et comme je l’ai déjà énoncé précedemment, on décida qu’il fallait trouver une solution pour cette Petite Reine dont on ne voyait pas les jambes. Son père, le Gros Roi (qui s’appelait ainsi parce que, lui, on lui voyait bien les jambes, mais on lui voyait surtout sa belle bedaine rebondie), et sa mère, la Grande Reine (qui était si grande qu’on lui voyait très bien les jambes, mais qu’on avait du mal à voir son visage si haut perché), ses parents donc, ordonnèrent de réunir le conseil des ministres pour réfléchir à ce qu’il fallait faire. Constatant que la Si Petite Reine ne pouvait aller à la piscine, et ne pourrait prendre la succession de ses parents car :
1-                           1- la Si Petite Reine ne saurait monter sur un si grand trône,
2-                           2- la Si Petite Reine ne pourrait être vue de ses sujets quand elle irait sur le balcon du palais,
3-                           3- elle ne pourrait jamais enfourcher le cheval royal lors des défilés,
4-                           4- elle ne pourrait jamais se marier dans cet état, car une reine qui se marie se doit de porter une belle et longue robe,
devant cette situation préoccupante, donc, le Conseil décida que la Si Petite Reine ne devait plus être si petite. Dans tout le royaume, on fit l’annonce que celui qui trouverait la solution pourrait épouser la belle petite reine, et de ce fait, devenir le futur roi !
-         - Oyez, oyez !, déclaraient les hérauts dans tous les villages du pays, et dans tous les pays du monde. Oyez, oyez ! Le Gros Roi, la Grande Reine, et le Conseil des Ministres ont décidé de donner la main de la Si Petite Reine a qui trouvera la solution pour qu’elle ne soit plus si petite, et qu’elle puisse enfin aller à la piscine! Qu’on se le dise !
Aussitôt, dans le monde entier, ce fut l’effervescence !
-         - La Si Petite Reine ne doit plus être si petite ! criait-on. Il faut la rallonger !
Certains se moquaient et proposaient :
-         - Si la Si Petite Reine ne doit plus être si petite, alors, il faudrait aussi que le Gros Roi ne soit plus si gros !
Mais de manière générale, le peuple prenait cette affaire très au sérieux : il en allait de l’avenir du royaume, tout de même !

         Au premier jour de la déclaration, il y eut près de mille prétendants qui faisaient la queue au palais pour rencontrer le Gros Roi, la Grande Reine et le Conseil des Ministres, et leur proposer leurs solutions, toutes plus extravagantes les unes que les autres ! Parmi eux, un vigneron (c’est quelqu’un qui fait pousser du raisin pour faire du vin), un vigneron tout rond, tout rouge, avec des gros bras, des grosses lèvres mouillées, et pas beaucoup de cheveux, s’avança, et déclara :
-         - J’ai la –hic !- solution, vos Majestés ! On –hic !- m’a dit que la Si Petite –hic !- Reine est si petite qu’on ne voit pas –hic !- ses pieds ! Hic ! Il faut donc –hic !- lui faire pousser les pieds ! Dans ma région –hic !-, pour faire pousser mes pieds de vigne, il me faut du soleil, de l’engrais, et –hic !- du terreau de ma composition. J’ai justement amené –hic !- ici une forte lampe solaire, un arrosoir d’engrais à base –hic !- de produits chimiques, et mon terreau que je fais –hic !- avec de la paille moisie et du crottin de cheval !
         Et, sans lui demander son avis, il s’empara de la Si Petite Reine, l’assit sur une chaise, l’arrosa de son engrais chimique, mit du terreau au niveau de ses pieds invisibles, et placa la lampe solaire juste au dessus de sa tête. Tout le monde se pencha, et attendit de voir ce qui allait se produire…
-         - Ca pue ! dit la Petite Reine.
Mais elle ne grandissait pas…
         Au bout d’une heure, ses cheveux étaient devenu tout bleu sous l’effet des produits chimiques, elle avait attrappé de grands coups de soleil, et tous les gens de l’assemblée, qui s’étaient mis des épingles à linge sur le nez à cause de l’odeur, firent un grand « Oooooooh ! » de consternation, unanime et nasillard ! Ce fut un scandale !
-         - Je sais pourquoi ça ne marche pas ! s’écria le vigneron. J’ai oublié de tailler !
Et il sortit de sa poche un gros sécateur ! L’assemblée fit un « Haaaaaaaaa ! » horrifié, et avant qu’il n’ait pu tailler les bras de la Petite Reine, le vigneron fut renvoyé du palais par le Garde du Corps Royal, à grands coups de pieds dans les fesses, tandis que la Petite Reine partait prendre une douche et mettre de la crème sur ses brûlures !        
         A la fin de la première journée, le Garde du Corps Royal avait donné des coups de pieds dans le derrière de 924 autres farfelus, mais personne n’avait apporté de solution valable… Mais bâh !, après tout, l’important, c’était d’espérer, non ?…

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